Espoir vermeil

Tout, autour de moi, me paraissait magnifique. J'avais l'impression de redécouvrir la forêt. Une nouvelle forêt. Différente de celle que nous avions traversée, Lyamaa et moi, pour nous rendre à la clairière où nous venions de passer la journée. Différente de celle qui commençait à mourir peu à peu pour renaître après l'hiver. Différente de celle qui regardait, impuissante, le déclin de la Tribut qui l'habitait depuis l'Aube des Temps. Et pourtant, cette forêt en elle-même, n'avait pas changé. Le seul changement, il provenait de mon regard. Mon regard empli d'une lueur d'espoir que l'on croyait délaissée. Un espoir nouveau qui va permettre à cette forêt de regarder sa chère Tribut renaître de ses cendres. Oui, nous allons renaître. Retrouver l'éclat de jadis.
C'est donc ainsi, dans cet état d'esprit sans l'ombre de sombres pensées, que j'ai traversé la forêt aux côtés de Lyamaa afin de revenir au Village. Je n'ai même pas penser à remettre l'Illusion. Heureusement, nous n'avons pas eu à traverser le village pour atteindre mon arbre-maison que je chéris tant. Il s'est dressé devant nous, tel une ombre protectrice. Je souris en le voyant. Cela faisait combien ? Trois, quatre ans que je vivais dans cette chaleureuse battisse. Et pourtant, je m'y sentais vraiment bien. D'apparence modeste et plutôt petite, la grande partie des pièces se trouvait à l'intérieur du tronc de l'arbre, insoupçonnées. En fait, même moi, j'ignorais beaucoup de cette maison. Au sous-sol, a été construite une très fidèle réplique de la bibliothèque royale, que j'ai pris soin de garnir avec les doublures d'ouvrages de la bibliothèque de l'Arbre Sacré, ainsi qu'une petite salle de bains. Le rez-de-chaussée comporte la cuisine, plusieurs salon, une grande salle de bains faisant plutôt office de piscine et deux salles à manger. Je n'ai jamais utilisé la grande. Il y a également une chambre assez petite, pour une personne, que mon père occupait encore très récemment. Au premier étage, il n'y a qu'une immense salle de bal, pourtant bien plus petite que celle du château. Au second étage, il y a plusieurs chambres, toutes pour deux personnes. Quant au troisième et dernier étage, se trouvait une petite pièce, au plafond vitré, vue sur le ciel, que j'ai réaménagé pour en faire ma chambre. Je  m'amusait souvent à m'imaginer cette demeure, il y a quelques siècles, alors qu'elle était habitée... Par qui, d'ailleurs ? Une famille royale cachée, durant une guerre peut-être. Une famille ayant fait fortune, aussi. Je venais de me rendre compte que l'histoire de cette maison m'était totalement inconnue. Je me suis promis que quant la paix sera rétablit, et que l'orage annoncé par la Guérisseuse aura été dissipé par la petite merveille vermeil que Lyamaa a ramené de l'Arbre Sacré, je chercherai l'origine de ma magnifique battisse.
En attendant, je fis entrer mon amie, et l’entraînai vers un petit salon qui fusionnait presque avec la cuisine. En fait, l'Arbre-maison donnait l'impression d'être chaleureux, mais à l’intérieur, seules les rares pièces que j'utilisais quotidiennement avaient un semblant d'histoire récente. Les autres étaient à l'abandon. Pas d'apparence, non, elles étaient toutes bien entretenues, mais, pour une pièce, il ne suffit pas de faire le ménage pour la rendre vivante. Il faut y vivre. Et je suis incapable d'y vivre seule, tout comme mon père et moi étions incapable d'y vivre à deux. On dit que même la distance ne peut séparer les Elfes, mais additionnée aux charges, au désespoir, à la fatigue et à la peur, celle que toutes ces salles vides ont placée entre mon père et moi a détruit la chaleur de notre ancien foyer et nous a enfermé chacun dans notre solitude chaque jour un peu plus grande. Et maintenant, il n'était plus là.
Mais ce n'était pas ce type de pensées qui tournoyait dans mon esprit alors que j'accueillais Lyamaa dans ce salon qui faisait parti de ces rares salles dans lesquelles je vivais. A cet instant là, il n'y avait que moi, Lyamaa, et l'espoir de Sa renaissance. Je me dirigea vers la cuisine alors que Lyamaa s’asseyait sur le canapé en déposant délicatement sur la table le parchemin et la fameuse feuille brune. Je me saisis d'un plateau taillé dans du bois clair et fins aux gravures simple et parfaitement précises sur lequel je déposai dans un bol en verre très certainement fabriqué par un artisan de renom du siècle dernier de petits gâteaux de différents parfums, que je pris plaisir à choisir avec attention. Je déposai également sur le plat deux tasses de thé en bois blanc gravé de façon complexe, accompagnées de sous-tasses de même provenance, et les remplis d'un thé à la menthe que j'avais pris soin de préparer juste avant. Je revins dans le petit salon et posai le plateau sur la table basse avant de m'installer dans mon fauteuil préféré, en face de Lyamaa.  Alors qu'elle saisit sa tasse, me laissant commencer la discussion, je prononçai ces mots :
-Alors, tu as une idée de comment on va ramener Liliann ?

Mon masque ne se fendit pas, et la seconde glacée ou j'avais eu l'impression que son regard pénétrait à travers moi et lisait au fond de mon être mon terrible secret avait disparu, flou dans les brumes du passé, remplacé par l'espoir. Nous rentrâmes, le cœur léger, léger. La guérison était possible. Nous poussâmes la porte en bois peint de vert, renfoncée dans l'arbre où se nichait la demeure de mon amie. Elle me fit asseoir sur un canapé en soie, et partit en cuisine chercher des gâteaux, bien que je lui ai dit que ça n'était pas la peine. Seule avec mes pensées, j'essayais pourtant de ne pas les laisser glisser en terrain dangereux. Songer à autre chose. Je fis ainsi vagabonder mon regard sur le décor du salon. Le manteau de cheminée était recouvert de bibelots, sûrement sentimentaux pour Kaede. Un tableau représentait son père, jeune, serrant avec la même délicatesse que s'il eut étreint une poupée de porcelaine une femme au sourire infiniment doux. Elle riait, d'un rire lumineux et qui devait sonner clair et pur, un de ces rires qui vous mettent en joie et vous donnent envie d'aimer son émetteur, le même que celui de Kaede, un atout dont elle n'avait pas conscience, et là résidait tout son charme. Cette elfe, la mère de mon amie, Kaede ne l'avait connue. Elle était morte en la mettant au monde. Elle avait troqué sa vie contre celle de l'enfant. Elle s'était sacrifié pour que Kaede puisse accomplir son destin. Quel serait il ? Brillant. Lyamaa savait qu'elle accomplirait de grandes choses. Justement, là voilà qui revenait en souriant, faisant tinter la vaisselle fine disposée sur un plateau en boulot ouvragé. Ce dernier était écorché dans un coin, et quelques infimes marques témoignait de son âge, bien qu'il eut été, évidemment, très précieusement conservé. Les biscuits  était joliment déposés dans le bol en verre. Elle avait le temps, comme pour une grande occasion... Le liséré bleu foncé de la théière était entrelacé de feuilles de lierre de la même couleur, et un nuage de vapeur odorant s'échappait par le bec. Les tasses, du même matériau que le plat, était remplies aux trois quarts d'une boisson fumante qui fleurait bon la menthe.  Toutes les deux. Kaede n'aimait pas le thé à la menthe. En général, elle n'en prenait qu'un petit fond, pour se désaltérer, et le fait qu'elle s'en soit servit autant était la  preuve d'un grand émoi... Toute  cette multitude de détails, je l'avait repérée et analysée en moins d'une demi-seconde, sans cesser de sourire aux bons mots de Kaede, répliquant à l'occasion.
Rien n'échappait à mon regard d'aigle.
Kaede s'était servi une grande tasse de thé à la menthe. Une grande tasse.
La  suite n'augurait rien de bon, j'espérai me tromper... J'en doutai.
Tout nos mots n'étaient tendus que vers la phrase qu'elle s'apprêtai à prononcer. Pour elle, ce n'était qu'une entrée en matière, pour moi ç'allait être le moyen de voire comment elle appréhendait l'affaire.
- Alors, tu as une idée de comment on va ramener Liliann ?
Je me figeai. Liliann. Un pic de glace me transperça le cœur. Oh, Kaede... Pourquoi n'avait-elle pas les pieds sur terre ? Pourquoi était-ce à moi de la raisonner ? Je soupirai avec résignation, avant de prendre une seconde pour rassembler mes arguments.
Le débat serait long, et difficile, mais je parviendrai à lui faire entendre raison. Comme à chaque fois.
- Kaede... Tu es reine, tes obligations envers ton peuple passent avant notre amitié. Je regrette. Cette feuille ne peut être administrée à Liliann. Elle doit être remise aux spécialistes de l'Arbre Sacré.

- Kaede... Tu es reine, tes obligations envers ton peuple passent avant notre amitié. Je regrette. Cette feuille ne peut être administrée à Liliann. Elle doit être remise aux spécialistes de l'Arbre Sacré.

D'abord, il eu un blanc. Présent, omniprésent. Tel une chute libre dans le néant. Une sorte de prise de conscience. Une de celles qui font mal. Pourquoi ? Je croyais que l'on apprenais de ses erreurs. Pourquoi est-ce si agréable de construire un mur que l'on croit incassable ? Pourquoi se brise-t-il si facilement ? Mais pourquoi, répondez !? Je n'aurai pas dû oublier. Je n'aurai pas dû devenir ce que je suis. J'en suis incapable. J'ai tord. Je vais perdre. Perdre ce débat, cette joute verbale, contre cette elfe en face de moi, en face de mon moi-réel, cette elfe si noble et méritante, cette elfe qui porterai mon fardeau bien mieux que moi, cette elfe qui a raison, toujours raison. Elle donne l'impression de ne pouvoir de tromper. D'être invincible. Alors, pourquoi c'est moi la reine ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? Dites-moi pourquoi !! J'ai si mal. Un mal interne, comme un coup de poignard.
Tu souffres, n'est-ce pas ?
Oui, je souffre. 
Souffres, oui, souffres de ta faiblesse.
Des larmes, oui, comme un torrent de larmes se déversant sur ma plaie. Dans ce néant d'un blanc opaque, je pleurs. Je tombe. Pour la première fois, oui, ce fut la première fois. Rien que le numéro un d'un suite. Je pleurs dans ce monde hors du temps, ailleurs, je chute, seule avec ma douleur, et cette voix, ce démon qui me murmure à l'oreille, et je tombe, encore, longtemps et pourtant cela ne dure qu'un instant. Un instant que je vais oublier.
Oui, oublier. Je veux oublier. Oublier ce néant, oublier cette plaie. Oublier cette souffrance, cette chute infinie. Oublier, oublier. Les larmes, la douleur, tout. Oublier la blancheur de ce lieu inexistant. Tout. Tout oublier. Oublier le murmure. Oui oui oui, tout oublier. Oui, tout tout tout. Oublier.
C'est si simple d'oublier, n'est-ce pas ?
Oui, c'est simple, si simple...
Alors oublie.

Mais oublier ne fera pas disparaître.


- Kaede... Tu es reine, tes obligations envers ton peuple passent avant notre amitié. Je regrette. Cette feuille ne peut être administrée à Liliann. Elle doit être remise aux spécialistes de l'Arbre Sacré.

D'abord, il eu un instant de vide. Puis une légère migraine, et une certitude. Je vais perdre. C'est toujours comme ça avec Lyamaa. Toujours. Et alors ? Je vais quand même me défendre. Une sorte de fierté, de défi, m'oblige à continuer. Une sorte d'obligation envers Liliann. Même si je vais perdre, il me faut essayer. Pour elle. J'ai juste pour elle que quelques arguments bancaux. Je suis désolée, Liliann, vois contre qui je dois lutter. Enfin, qu'importe, même si l'issue est certaine, je m'engage sur le chemin de ce combat argumentatif :
-Les spécialistes de l'Arbre ? Pour qu'il détruise la feuille en faisant une quelconque expérience ? Pour que l'étude dure des années ? Pour que le remède soit administrer à un autre peuple avant le notre ? Pour que ce peuple ai soudainement envie de lancer une guerre contre nos patries affaiblies ? On ne peut se permettre de remettre un tel atout à l'Arbre Sacré. Combien d'espions, de traîtres, il y a là-bas, au sein même du conseil, peut-être ? Depuis que la Guérisseuse a annoncé un « orage », les quatre peuples sont sur leurs gardes, à l'affût. Les seules mains dans lesquelles je serai sur que la feuille soit à l'abri, c'est les nôtres. Je ne donnerai cette feuille à personne.

Je t'écoute Lyamaa, qu'as-tu à dire ? Que vas-tu dire ? J'ai hâte. Enlève-moi ce gout amère de ma bouche. Résone-moi, Lyamaa, je t'en prie.
Un gout amère ? Du thé à la menthe ? Quelle horreur !
Lyamaa, aide-moi ! Cette liqueur est écœurante !
Comment ai-je fais pour oublier ce peuple pour qui je me démène depuis plus d'un an ? Je suis écœurante ! Lyamaa !

Toujours avec une sorte de malaise oppressant, et un mal de tête, en buvant du thé à la menthe, j'attendis que mon amie vienne à mon secours.